Le projet de loi C-7 est un sparadrap pour un système fracturé

Le projet de loi C-7 est une réponse inadéquate aux défauts de la loi C-14, qui n’a jamais satisfait au mandat dans l’affaire Carter de fournir « un régime soigneusement conçu, qui impose des limites strictes scrupuleusement surveillées et appliquées ».

Le gouvernement Trudeau a relancé le projet de loi C-7 pour aligner la loi canadienne sur l’aide médicale à mourir (AMM) avec une décision de la Cour supérieure du Québec de 2019 qui a annulé l’exigence selon laquelle la mort naturelle d’une personne doit être raisonnablement prévisible. Le tribunal dans l’affaire Truchon a retardé l’effet de la décision pour permettre au Parlement à modifier la loi sur l’AMM, et a accordé deux prolongations depuis. Si le Parlement n’adopte pas le projet de loi C-7 avant le 18 décembre, le critère d’admissibilité de la mort naturelle raisonnablement prévisible (MNRP) disparaîtra de la loi sur l’AMM, sans autre changement. Le projet de loi C-7 est présenté comme offrant des garanties supplémentaires pour remplacer le critère de fin de vie, mais est-ce vraiment le cas? Et que se passerait-il si le projet de loi C-7 n’était pas adopté?

Pour toutes les personnes qui demandent à mourir, le projet de loi C-7 réduirait le nombre de témoins requis pour signer la demande de deux à un et permettrait à un préposé au bénéficiaire d’être témoin de la demande. Cela pourrait créer une situation où un préposé abusif contraindrait une personne à demander l’AMM, puis agirait comme le seul témoin de la demande écrite.

Parmi les « garanties » dans le projet de loi C-7, il y a une exclusion selon laquelle « la maladie mentale n’est pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap. » pour l’application de la loi sur l’AMM. Ceci est censé éviter la mort de personnes dont la seule condition médicale est une maladie mentale. Mais il est peu probable qu’il soit efficace, pour plusieurs raisons. La maladie mentale est universellement reconnue comme un handicap dans les lois, les traités, les règlements et les décisions de justice. Le fait que le Parlement essaie de créer une exception pour cette seule loi irait à l’encontre du précédent juridique et de la politique publique. De plus, l’exclusion ne concerne pas l’autisme, les lésions cérébrales ou le syndrome cérébral organique, qui ne sont pas des maladies mentales, mais qui peuvent inclure des symptômes qui provoquent le désir de mourir, en particulier en combinaison avec la discrimination, les obstacles et la stigmatisation. Tant que la loi sur l’AMM autorise l’éligibilité basée sur la souffrance psychologique, il y aura un glissement inévitable vers l’autorisation de l’euthanasie pour les survivants de la psychiatrie.

Le projet de loi C-7 créerait un processus d’approbation à deux volets, l’un pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible, l’autre pour les personnes, comme les plaignants dans les affaires Truchon et Lamb, ayant des incapacités de longue durée qui ne sont pas en train de mourir.

Pour les personnes dont le décès est considéré comme raisonnablement prévisible, le projet de loi C-7 supprimerait la période de réflexion de dix jours. Ainsi, une personne pourrait être approuvée et euthanasiée le même jour, comme cela s’est déjà produit au Québec. À l’instar de la loi actuelle sur l’AMM, le projet de loi C-7 ne définit pas ce que signifie « raisonnablement prévisible » appliqué à la mort naturelle d’une personne, mais il est probable qu’une grande majorité de personnes entrent dans cette catégorie. Au 31 décembre 2019, près de 14 000 personnes répondaient à ce critère d’éligibilité, qui s’est élargi grâce à des décisions de justice et à des directives de pratique. En outre, le magasinage de médecins et les références des groupes de défense de l’euthanasie garantissent pratiquement qu’une personne peut facilement trouver deux professionnels de la santé pour approuver l’euthanasie.

Le projet de loi supprimerait également l’exigence que la personne soit en mesure de confirmer son désir de mourir lorsque le décès est administré; créant, en fait, une directive préalable pour l’euthanasie ou le suicide assisté. Tant que la personne avait la capacité de donner son consentement éclairé lorsqu’elle a fait la demande écrite, et qu’elle « ne manifeste pas, par des paroles, sons ou gestes, un refus que la substance lui soit administrée ou une résistance à ce qu’elle le soit », l’injection létale peut continuer.

Le projet de loi « précise » que « des paroles, des sons ou des gestes involontaires en réponse à un contact ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance ». Ce qui soulève la question; les « paroles involontaires » incluent-elles « non » ou « arrêtez »? Cette section est probablement ajouté en réponse au cas d’une femme de 74 ans atteinte de démence aux Pays-Bas qui a été euthanasiée en vertu d’une directive anticipée, malgré des signaux mitigés sur son désir de mourir à l’approche de la date de l’euthanasie. Le médecin, qui a été innocenté dans l’affaire, aurait mis un sédatif dans le café de la femme et aurait demandé à sa famille de la retenir pour l’injection létale.

Pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie, le projet de loi C-7 propose un processus d’approbation avec une période d’attente de trois mois, qui peut être raccourci si les deux fournisseurs de soins de santé croient que la personne perdra la capacité de consentir. Cette période d’attente sera probablement contestée comme une violation des droits garantis par la Charte des droits et libertés. Le projet de loi exige également que l’un des professionnels de la santé ait une expertise (vraisemblablement auto-définie) dans l’état qui cause la souffrance de la personne. Cela pourrait signifier qu’un médecin qui a suivi un cours de deux semaines sur la gestion de la douleur pourrait décider qu’il a une expertise suffisante pour gérer la douleur causée par la sclérose en plaques, la fibromyalgie ou le lupus.

La loi actuelle sur l’AMM (projet de loi C-14) exige que la personne « consent de manière éclairée à recevoir l’aide médicale à mourir après avoir été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment les soins palliatifs ». Le projet de loi C-7, va encore plus loin dans le consentement éclairé des personnes qui ne sont pas proches de la mort, en disant que le médecin doit « s’assurer que la personne a été informée des moyens disponibles pour soulager ses souffrances, notamment, lorsque cela est indiqué, les services de consultation psychologique, les services de soutien en santé mentale, les services de soutien aux personnes handicapées, les services communautaires et les soins palliatifs et qu’il lui a été offert de consulter les professionnels compétents qui fournissent de tels services ou soins ». Quelques points à noter à propos de ces dispositions:

  • Le médecin décide lesquels de ces soutiens sont « indiqué » pour la personne;
  • Pour une raison inconnu, ces services ne sont jugés utiles que pour les personnes qui ne sont pas en fin de vie;
  • Comme pour les soins palliatifs du projet de loi C-14, « être informé » et « offrir des consultations » ne sont pas la même chose que recevoir des services qui répondent aux besoins de la personne.
  • L’obligation du professionnel de la santé de discuter et de « s’accorde[r] avec [la personne] sur le fait qu’elle … a sérieusement envisagé » les moyens de soulager sa souffrance est essentiellement inapplicable.

Le projet de loi ajouterait de nouvelles exigences en matière de rapports pour tenter de corriger le fait que le système de surveillance n’enregistre pas les demandes orales d’AMM lorsque la personne est jugée inadmissible après une évaluation informelle. Cependant, le projet de loi ne fait aucun effort pour documenter l’impact de l’AMM sur les groupes défavorisés, ou pour combler l’écart entre le nombre de cas signalés d’AMM et le nombre réel de personnes qui meurent du suicide assisté, de l’euthanasie, de la sédation palliative continue, des actes de mettre fin à la vie sans demandes explicites, ainsi que de la maltraitance, des erreurs médicales et de la négligence.

Le projet de loi C-7 est une réponse inadéquate aux défauts de la loi C-14, qui n’a jamais satisfait au mandat imposé par la Cour suprême dans l’affaire Carter de fournir « un régime soigneusement conçu, qui impose des limites strictes scrupuleusement surveillées et appliquées ». Il supprime plus de garanties qu’il n’en ajoute et laisse le concept pivot de MNRP indéfini. Son « exclusion » des personnes qui demandent à mourir exclusivement à cause d’une maladie mentale ne protège pas les personnes qui souffrent des effets de la discrimination, des barrières et de la stigmatisation fondées sur les maladies et les troubles mentaux. Cela ne résout pas les problèmes que nous avons mis en évidence dans notre analyse du rapport annuel, ni les effets coercitifs de la discrimination et des obstacles, comme le montre notre série de webémissions du titre « le choix n’est pas libre ». Le projet de loi C-7 n’est pas non plus une réponse suffisante à l’impact disproportionné et discriminatoire que l’AMM et la pandémie de COVID ont sur les aînés, les personnes en situation de handicap et les Noirs, les autochtones et les personnes de couleur.

Si le projet de loi C-7 est inefficace et comporte peu de garanties, pourquoi est-il même nécessaire? Le procureur général a soutenu que la pratique habituelle consistant à limiter l’effet des décisions d’un tribunal provincial à cette province signifierait que MNRP « deviendra invalide et sans effet au Québec seulement ». (Le ministre de la Justice évite généralement de tels conflits en interjetant appel de l’affaire devant la Cour suprême ou, comme dans le cas présent, en demandant au Parlement de légiférer.) Mais le juge Beaudoin était en désaccord que l’arrêt Truchon ne s’applique qu’au Québec. Bien qu’elle ait refusé de trancher la question, elle a cité une décision de la Cour d’appel de 2004 selon laquelle « [lorsqu’une loi a effectivement été jugée inconstitutionnelle, […] l’intérêt public dans l’application continue de la loi est considérablement diminué » (notre traduction) et a ajouté « qu’il serait juridiquement inacceptable, … [qu’]une disposition soit inapplicable dans une province et en vigueur dans toutes les autres ».

Donc, si le projet de loi C-7 n’était pas adopté avant la date limite du 18 décembre, la prochaine étape se produirait lorsqu’une personne à l’extérieur du Québec, dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible mais qui répond à tous les autres critères d’admissibilité (un adulte compétent affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables en un état avancé de déclin irréversible qui subit des souffrances intolérables) n’est pas  capable de trouver deux médecins pour approuver sa demande d’AMM (une mince possibilité). Cette personne peut soit intenter une action en justice pour faire appliquer la décision Truchon dans sa province, soit demander à un membre de l’assemblée législative de proposer un projet de loi reconnaissant l’arrêt Truchon ou interdisant l’utilisation du critère d’éligibilité MNRP dans cette province.

Apart de ça, le processus d’approbation d’AMM resterait le même. Deux témoins seraient encore nécessaires pour signer la demande d’AMM, la personne devrait toujours être compétente pour consentir lorsque l’euthanasie serait administrée et la période d’attente de dix jours continuerait de s’appliquer (sauf si la personne perdrait la capacité de consentir).

TVNDY