Dans cet épisode de l’Euthanasie et l’incapacité, Amy Hasbrouck, Taylor Hyatt et Christian Debray discutent:
- L’examen du rapport d’expert dans l’affaire Lamb, partie I: La capacité décisionnelle et la suicidalité
- Le NCD affirme son opposition au suicide assisté
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DES EXTRAITS DU RAPPORT D’EXPERT, PARTIE I: LA CAPACITÉ DÉCISIONNELLE ET LA SUICIDALITÉ
- Le rapport d’expert qui a conduit à la suspension de l’affaire Lamb contenait de nombreuses informations utiles qui semblaient mériter d’être partagées. Cette semaine, nous examinons la partie du rapport soumis par la Dre Madeline Li qui porte sur la capacité de prise de décision dans le contexte du suicide assisté et de l’euthanasie (le SA & E). La Dre Li est psychiatre du cancer au Princess Margaret Cancer Centre à Toronto, ainsi que développeur et responsable du programme de l’aide médicale à mourir (AMM) au Réseau de santé universitaire (RSU) à Toronto.
- La Dre Li s’occupe des personnes qui demandent l’euthanasie, forme et supervise d’autres praticiens de l’AMM, développe des outils d’évaluation et mène des recherches sur les motivations et les réactions des personnes qui reçoivent le SA & E et sur les effets de l’AMM sur les professionnels de la santé.
- Le premier sujet du rapport de la Dre Li est la capacité de prise de décision et le consentement à l’euthanasie. Selon elle, les lignes directrices d’Appelbaum relatives à l’évaluation de la capacité à prendre des décisions médicales, qui « se concentrent uniquement sur les aspects cognitifs de la capacité » (la compréhension, l’appréciation, le raisonnement et la capacité à exprimer un choix) ne tiennent pas compte des « émotions telles que l’espoir, la colère et la tristesse, l’anxiété et … la capacité à éprouver du plaisir qui influence fortement les décisions de traitement. »
- La Dre Li a cité une étude sur l’euthanasie de personnes souffrant de troubles psychiatriques aux Pays-Bas que nous avons examinée en février 2018, qualifiant les évaluations de capacité de « superficielles ». Elle pense que les évaluations de capacité de l’AMM devraient inclure d’autres facteurs, en particulier lorsque la personne a un trouble psychiatrique:
- Comparer les valeurs de la personne à celles de la société;
- L’Influence interne excessive sur le caractère volontaire de la décision (par exemple, des troubles mentaux ou de la toxicomanie), et;
- Les émotions et les valeurs qui motivent la demande de mourir.
- La Dre Li a noté que certaines conditions psychiatriques « peuvent, de par leur nature, exercer une influence interne indue sur le caractère volontaire du processus décisionnel du patient ». Le désir de mourir peut être un symptôme de la dépression; l’anxiété ou le manque de plaisir dans les activités quotidiennes peuvent également influer sur la prise de décision. Elle ajoute que même les médecins spécialisés dans les maladies mentales ne peuvent souvent pas faire la distinction entre la suicidalité et le soi-disant désir « rationnel » de mettre fin à ses jours.
- Selon elle, « il n’existe actuellement aucun outil d’évaluation des capacités » permettant d’évaluer ces facteurs et de protéger de manière adéquate les populations vulnérables.
- L’histoire d’une femme atteinte d’un cancer du sang et d’une dépression chronique illustre ce point.
- Bien que sa dépression fût partiellement contrôlée par des médicaments, au fur et à mesure de l’évolution du cancer, elle refusa les antidépresseurs et les transfusions sanguines en faveur de l’euthanasie. Le psychiatre et l’oncologue de la femme ont souscrit à cette décision, compte tenu des effets secondaires « intolérables » du traitement contre le cancer qu’elle recevait. Elle a été évaluée, approuvée et a passé la période d’attente de 10 jours avant de décider d’aller à l’hôpital pour un traitement supplémentaire.
- Une fois sur place, cependant, la femme a choisi de recevoir l’AMM à la maison. La veille de la procédure, elle a encore changé d’avis: cette fois, elle voulait des soins palliatifs. Après une « crise médicale » nécessitant un retour à l’hôpital, elle a de nouveau demandé l’AMM. Puis, deux jours avant sa mort, elle a accepté de recommencer les transfusions sanguines et d’essayer de nouveaux traitements contre le cancer.
- Ses médecins « n’ont pas considéré sa demande comme étant retirée ou ne s’inquiétaient pas de son ambivalence ou de sa capacité », mais l’ont plutôt imputée à « son processus de décision concernant une date ».
- Le manque de formation et d’outils d’évaluation adéquats peut conduire à des résultats incohérents. la Dre Li cite la même étude néerlandaise, qui a révélé des désaccords dans 12% des évaluations de capacité, bien que le comité de surveillance ait accepté les demandes approuvées d’euthanasie. Une étude antérieure, dont nous avons parlé en février 2016, a montré que les médecins n’étaient pas d’accord sur les évaluations de la capacité dans 24% des cas d’euthanasie, mais que les personnes étaient néanmoins euthanasiées. Dans 11% des cas, aucune évaluation psychiatrique n’a été réalisée.
- Elle note que les personnes jugées non éligibles à l’euthanasie « [peuvent] continuer à rechercher un nombre indéterminé d’évaluations d’éligibilité jusqu’à ce qu’elles trouvent éventuellement des évaluateurs qui les jugeront éligibles » (dit « magasinage du médecin »). La Dre Li cite une étude de 2017 qui a révélé que « Les médecins des organisations de défense de l’euthanasie … représentent plus de 50% des cas [dans lesquels les exigences de diligence requises ne sont pas remplies], contre seulement 5% de tous les cas d’euthanasie aux Pays-Bas ».
- Selon la Dre Li, même si les psychiatres « peuvent donner un avis si un trouble psychiatrique altère le jugement du patient », confier la responsabilité de l’évaluation de la capacité à un psychiatre « n’est pas une pratique techniquement correcte ni rigoureuse en matière de qualité ». Elle conclut qu’ « il n’y a pas d’experts », car le domaine du SA & E est relativement nouveau.
- La Dre Li pense que le désir de mourir pour mettre fin à une souffrance intolérable et celui causé par un trouble mental sont deux « formes d’idées suicidaires » et qu’il n’est pas toujours possible de les distinguer.
- Un autre facteur largement méconnu des praticiens qui s’intéressent à la capacité de choisir une AMM est la « démoralisation », des sentiments de « désespoir, d’impuissance, de sentiment d’échec et d’incapacité à faire face », qui sont « fortement associés au désir [passif] de hâter la mort » et les demandes d’AMM. La souffrance psychologique de la démoralisation est négligée dans les évaluations d’AMM. Les personnes démoralisées ne peuvent pas être forcées d’accepter une intervention pour leur maladie et peuvent néanmoins satisfaire aux exigences de capacité pour l’AMM.
- La Dre Li a cité le cas de deux femmes démoralisées qui ont demandé l’AMM, qui ont vu leur état s’améliorer après avoir reçu de la kétamine comme antidépresseur dans le cadre d’un essai clinique. Les médecins qui évaluaient leurs demandes n’étaient pas sûrs de leur éligibilité à cause de la dépression. Le désir de mourir de la première femme augmentait à mesure qu’elle acceptait l’inévitabilité de sa mort, tandis que la seconde sentait que sa qualité de vie s’améliorait; elle a retiré sa demande d’AMM. (La kétamine est toujours un traitement expérimental. Même si le résultat positif est reproduit à plus grande échelle, tout le monde n’acceptera ni ne réagira bien au traitement.)
- La semaine prochaine, nous examinerons de plus près les conclusions de la Dre Li concernant le SA & E pour les personnes souffrant de troubles psychiatriques, ainsi que ce qu’elle a à dire à propos de Julia Lamb elle-même.
LE NCD AFFIRME SON OPPOSITION AU SUICIDE ASSISTÉ
- Le « National Council on Disability », une agence gouvernementale américaine qui élabore et recommande une politique nationale en matière d’incapacité, a publié un troisième rapport sur le suicide assisté. L’organisation continue de s’opposer à la pratique. Sa position n’a pas changé depuis la publication du premier rapport en 1997. (NCD a réaffirmé sa position en 2005.)
- Voici quelques-unes des conclusions les plus importantes auxquelles le Conseil est parvenu:
- « Les assureurs ont refusé des traitements médicaux coûteux et essentiels au maintien de la vie, mais ont proposé de subventionner des médicaments mortels, ce qui pourrait potentiellement inciter les gens à hâter leur propre décès. »
- « La démoralisation … est l’un des facteurs de risque les plus puissants et les plus difficiles en matière de suicide assisté. »
- Les personnes en situation de handicap deviennent souvent démoralisées à cause de l’oppression intériorisée, « par exemple, être conditionnées à considérer l’aide comme indigne et lourde, ou à considérer l’incapacité comme un obstacle inhérent à la qualité de la vie ».
- La discrimination et le manque de soutien à domicile peuvent également causer la démoralisation.
- Les professionnels de la santé et de la santé mentale qui n’ont pas les connaissances et l’expérience nécessaires en matière d’incapacité ne reconnaissent pas la démoralisation comme un problème, mais le voient comme une réaction compréhensible face à une déficience.
- Les personnes en situation de handicap sont plus susceptibles de faire face à des difficultés financières, émotionnelles et sociales qui rendent attrayant un décès hâtif.
- Un diagnostic ou un pronostic inexact d’une maladie en phase terminale peut amener les gens à mettre fin à leurs vies par peur.
- « Là où l’aide au suicide est légale, les États n’ont aucun moyen d’enquêter sur les erreurs et les abus. »
- Les normes « se relâchent … dans divers aspects des lois sur l’aide au suicide »: le champ d’application de l’éligibilité augmente, davantage de professionnels peuvent prescrire des substances mortelles et les délais d’attente entre l’acceptation d’une demande d’aide au suicide et l’exécution de l’acte ont été réduits.
- À la suite de la panique sociale provoquée par les opioïdes, « il pourrait devenir plus facile d’obtenir une ordonnance de mourir que de soulager la douleur ».
- « De nombreuses organisations nationales de défense des droits des personnes en situation de handicap s’opposent à la légalisation du suicide assisté. Tous les groupes nationaux qui ont pris position sont opposés ».
- Le NCD a formulé de nombreuses recommandations:
- « Le Congrès devrait modifier la loi sur la “social security” afin de supprimer les préjugés légaux de Medicaid en faveur des soins de longue durée en institution, plutôt que les services à long terme et les aides fournies aux personnes vivant dans la communauté. »
- Les professionnels de la santé et les établissements de soins de santé, y compris les laboratoires et les centres de thérapie, « doivent proposer une gamme complète d’accommodements en conformité avec la loi “Américains with Disabilities Act” (ADA) et l’article 504 de la loi sur la réadaptation ».
- « Tous les organismes publics chargés de la prévention du suicide devraient s’attaquer aux problèmes spécifiques des personnes avec déficiences et atteintes de maladies chroniques, y compris les personnes ayant un pronostic terminal. Les organismes publics chargés de la prévention du suicide devraient affecter des fonds à la recherche … sur les facteurs de risque de prévention du suicide liés à l’incapacité, ainsi qu’à la recherche sur la collecte de données directement auprès de personnes demandant le suicide assisté et l’euthanasie. »
- Les personnes en situation de handicap devraient toujours être informées de « la gamme complète des options de traitement clinique disponibles », ainsi que des soins palliatifs, des services d’assistance personnelle, des soins de santé mentale, des soins infirmiers spécialisés et d’autres formes de soutien.
- Les programmes de formation pour les professionnels de la santé « devraient exiger des cours sur les aptitudes et les compétences nécessaires pour fournir des soins de santé de qualité aux patients handicapés et devraient développer un ensemble de bases de compétences pour les personnes en situation de handicap ».
- Compte tenu de la revendication croissante d’élargir les critères d’admissibilité au SA & E, il est extrêmement important que les militants des droits des personnes avec déficiences se fassent entendre sur cette question. Bien que chacun a droit à son opinion et à son comportement individuel, la politique et l’action du gouvernement doivent reposer sur une compréhension approfondie de cette question, que le mouvement pour les droits des personnes en situation de handicap cultive depuis 35 ans. Le rapport NCD arrive à point nommé pour renforcer les arguments des militants des droits des personnes avec déficiences contre l’expansion de la mort hâtive. Il est frustrant de constater que, 22 ans après le premier rapport de NCD, la voix du mouvement des droits des personnes en situation de handicap reste un cri solitaire dans la nature.