Dans cet épisode de l’Euthanasie et l’incapacité, Amy Hasbrouck, Taylor Hyatt et Christian Debray discutent:
- Les rapports du CAC – Partie IV – Les troubles mentaux
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LES RAPPORTS DU CAC : UNE POLITIQUE SUR NOUS SANS NOUS – PARTIE IV : LES TROUBLES MENTAUX
- Aujourd’hui, nous présentons la dernière de notre série sur le rapport du Conseil des Académies Canadiennes, celui-ci sur le suicide assisté et l’euthanasie (SA & E) où un trouble mental est le seul problème médical à l’origine de la demande. C’était sans aucun doute le plus complexe, intéressant et difficile des trois rapports.
- Une note sur la terminologie; le rapport utilise une abréviation pour la phrase « aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué » ou AMM-TM-SPMI dans l’ensemble. En général, nous essayons d’éviter le jargon, mais nous n’avons pas toujours été en mesure de contourner la phrase et son abréviation dans les guillemets.
- Il est important d’être clair sur les différents types de situations dont nous parlons ici:
- Un petit nombre de personnes, qui sont involontairement internées dans un hôpital psychiatrique parce qu’elles constituent un danger pour elles-mêmes, sont empêchés de se tuer.
- Certaines personnes sont découragées de se tuer par le biais d’une intervention de prévention du suicide (d’un service d’assistance téléphonique, d’un thérapeute ou de programmes de sensibilisation financés par des fonds publics);
- Certaines personnes sont sélectionnées pour recevoir de l’aide afin de se tuer (ou d’être tuées).
- Rappelez-vous que les rapports du CAC discutent la possibilité d’élargir le programme avant même de savoir comment fonctionne « l’Aide Médicale à Mourir » (AMM) au Canada.
- À la page 208, le rapport indique que le système de surveillance (entré en vigueur le 1er novembre 2018) n’a pas l’objectif de « déterminer si les médecins praticiens et le personnel infirmier praticien respectent les exemptions prévues au Code criminel. »
- Les auteurs mentionnent également les rapports de la Commission des soins de fin de vie du Québec, mais omettent les résultats de ces rapports, qui montrent que plusieurs personnes non admissibles ont déjà été euthanasiées.
- Le projet de loi C-14 limite le mandat du groupe de travail aux situations dans lesquelles un trouble mental est la seule raison de la demande de SA & E, sans examiner dans quelle mesure les troubles mentaux affectent la capacité de prendre une décision, ou interfèrent avec le caractère volontaire des demandes des personnes ayant une déficience ou une maladie en phase terminale.
- Comme nous le savons bien, le stress de la maladie et l’incapacité, ainsi que les abus, la discrimination et les obstacles rencontrés par les personnes en situation de handicap, peuvent déclencher ou aggraver une maladie mentale.
- Bien que nous comprenions que le groupe de travail ne souhaitait pas aller au-delà de son mandat législatif, nous estimons que l’échec d’analyser l’impact de la maladie mentale et de l’incapacité physique en même temps est très préjudiciable pour le public canadien.
- Un dernier point avant d’en arriver aux détails. À la page 77, le rapport dit: « Bien sûr, le désir de mourir peut aussi refléter la décision autonome et réfléchie d’une personne de mettre fin à ses jours. » Commencer cette phrase par « bien sûr » implique que tout le monde est d’accord sur ce qui suit. En fait, l’idée que mettre fin à une vie peut être une décision « autonome et bien réfléchie » n’est qu’une théorie (le « suicide rationnel ») défendue par quelques psychologues; il n’est pas accepté dans la pratique de la santé mentale traditionnelle. Les mouvements qui sous-tendent la théorie selon laquelle avoir une déficience est un destin pire que la mort, et que souffrir en fin de vie est inévitable, ont toujours été remis en question par les militants des droits des personnes en situation de handicap.
- L’honnêteté étant la meilleure politique; au lieu de difficultés ou de facteurs « sociaux », les auteurs devraient parler de la « discrimination » simplement.
- Le rapport parle de « difficulté à faire face aux épreuves sociales » (p. 46). Par exemple, ils affirment que les femmes sont plus susceptibles à la dépression et à l’anorexie en partie à cause de la violence sexiste. (p. 49)
- Les auteurs soulignent à juste titre que la relation entre les facteurs sociaux » et les troubles mentaux va dans les deux sens; «Les facteurs sociaux peuvent augmenter le risque de développer un trouble mental chez une personne et le fait d’avoir un trouble mental peut augmenter l’exposition et la vulnérabilité de la personne à des facteurs sociaux qui nuisent à sa santé mentale, » (p. 51).
- Les auteurs décrivent l’histoire de (mal)traitement des personnes ayant une déficience psychiatrique (p. 54) en concluant que: « de mauvais traitements infligés à de nombreuses personnes atteintes de troubles mentaux dans la prestation des soins de santé — les premiers asiles, le mouvement eugénique, les abus institutionnels du milieu du XXe siècle et l’insuffisance des ressources fournies après la désinstitutionalisation — montre que ces personnes pourraient être plus vulnérables aux mauvais traitements dans le cadre » du SA & E.
- Les auteurs soulignent que « les personnes atteintes de troubles mentaux courent un risque accru d’être victimes d’actes criminels, de violence physique ou psychologique et d’agression sexuelle … elles font face à des restrictions quant à leurs droits civils et peuvent se voir refuser la possibilité de prendre des décisions les concernant et de gérer leur vie. » (p. 51).
- Sur la p. 89, les auteurs ont également déclaré: « Étant donné les antécédents de stigmatisation et de discrimination à l’égard des personnes atteintes de troubles mentaux …, on peut craindre que (i) la décision d’une personne de demander l’AMM soit due à la stigmatisation ou à la perception que les personnes atteintes de troubles mentaux représentent un fardeau pour les familles, ou que (ii) les familles puissent faire pression sur une personne ayant un trouble mental pour qu’elle demande l’AMM. » Malheureusement, les auteurs ne font pas référence aux nombreuses informations historiques à l’appui de cette affirmation, mais citent à la place une seule étude publiée aux Pays-Bas pour le contredire.
- Plus tard, les auteurs soulignent un autre problème potentiel; « certaines personnes peuvent en faire la demande [pour le SA & E) parce qu’elles n’ont pas accès à d’autres traitements de santé mentale qui pourraient réduire leurs souffrances — ou qu’elles ne peuvent pas se les payer. Il s’agit là d’une forme de réduction du caractère volontaire (c.-à-d. que l’absence de choix limite le caractère volontaire du choix) » (P. 184).
- Dans la section 3.5, le groupe de travail examine l’impact des troubles psychiatriques sur « d’autres populations spécifiques, » notamment les femmes, les immigrés, les groupes socioculturels et racialisés, les personnes LGBTQ +, les aînés, les anciens combattants, les personnes incarcérées et les jeunes (mineurs matures) : bref, tout le monde sauf les personnes avec déficiences. Qu’est-ce qui se passe, là?
- Le rapport fait l’objet de nombreux débats, allant de la définition de termes comme « impulsivité » et « intolérable » à des questions plus vastes telles que savoir si le suicide est un choix « libre. »
- « D’une part, l’interdiction de l’AMM-TM-SPMI peut être perçue comme une continuation des pratiques paternalistes qui restreignent les libertés civiles des personnes atteintes de troubles mentaux, leur refusant liberté, choix et autonomie. D’autre part, le fait d’élargir l’accès à l’AMM-TM-SPMI peut être perçu comme perpétuant une idéologie qui dévalorise les personnes atteintes de troubles mentaux en laissant entendre que leur vie ne vaut peut-être pas la peine d’être vécue et en faisant la promotion des libertés civiles, mais sans fournir les ressources nécessaires. » (p. 54).
- Une faction reconnait les dommages causés par la discrimination et l’oppression, tandis qu’une autre faction (néolibérale?) semble croire que les choix d’une personne devraient être considérés comme « autonomes » même si le manque de services ou de soutiens nuit à sa capacité à mener une vie libre et faire un choix éclairé. Ce désaccord est réitéré à plusieurs reprises, sur différents thèmes, dans le rapport. Voir par exemple p. 191.
- Cela nous rappelle la politique en Oregon selon laquelle la maladie d’une personne sera considérée comme en phase terminale même si le médicament utilisé pour la traiter n’est pas payé par une assurance.
- Les auteurs soulignent que « L’évaluation de la capacité décisionnelle des personnes atteintes de troubles mentaux en ce qui a trait à l’AMM-TM-SPMI pose un défi unique ».
- Le désir de mourir pourrait être un symptôme de leur état. En outre, « les perceptions faussées du caractère intolérable et irrémédiable (c.-à-d. la croyance que rien ne peut jamais faire en sorte qu’une personne se sente mieux) sont des symptômes courants » de certains troubles psychiatriques (p. 88). Cela est particulièrement vrai pour la dépression et de troubles de personnalité, qui représentent environ la moitié des personnes qui ont été euthanasiées pour des troubles psychiatriques aux Pays-Bas.
- Cela soulève des questions auxquelles le rapport ne répond vraiment pas, par exemple si une personne incarcérée involontairement dans un hôpital psychiatrique en vertu de la loi provinciale parce qu’elle est considérée de poser un « danger pour elle-même » pourrait être considérée comme éligible à l’aide au suicide.
- Les auteurs soulignent un point important concernant l’évaluation et le traitement de la souffrance.
- Habituellement, une évaluation de la souffrance d’un patient est réalisée pour déterminer si et dans quelle mesure celle-ci peut être soulagée. Mais dans le cas du SA & E, lorsque la personne est sur le chemin de la mort, l’évaluation de la souffrance doit satisfaire à un critère d’éligibilité nécessaire pour atteindre l’objectif. Tout traitement proposé pour soulager la souffrance peut être considéré comme un obstacle à la réalisation de l’objectif du SA & E, et donc considéré comme « inacceptable. »
- Aucun autre pays ne permet à la personne de déterminer si un traitement serait futile ou quelles conditions d’allègement seraient acceptées pour déterminer son admissibilité à ce critère.
- La discussion sur la prévention du suicide dans le rapport est basée sur la règle légale établie dans l’affaire Carter et le projet de loi C-14 selon laquelle il y a des suicides que la société aidera plutôt que de prévenir. La discussion sur la “prévention du suicide” porte en réalité sur la manière dont la société choisit qui reçoit de l’aide pour vivre et qui reçoit de l’aide pour mourir, et comment redéfinir le “suicide” pour le rendre inapplicable aux personnes que la société souhaite aider à mourir.
- Le groupe de travail ne conteste pas l’idée « mieux mort qu’handicapé », car c’est ça qui est la force derrière la pensée que certains suicides devraient être aidés plutôt que prévenus.
- Les auteurs affirment que toutes les personnes impliquées dans ce processus de sélection sont neutres et équitables, même jusqu’aux bénévoles de la ligne directe de prévention du suicide. « De l’avis de ces membres du groupe de travail, la seule circonstance où des interventions de prévention du suicide ne sont pas offertes, c’est lorsque l’AMM est fournie à une personne qui satisfait à toutes les exigences décrites dans le projet de loi C-14, » (p. 105). Il serait formidable si c’était le cas, mais ce n’est pas l’expérience des personnes ayant des incapacités.
- Le groupe de travail cite le cadre de prévention du suicide; « une personne qui a des pensées suicidaires … peut se sentir désespérée ou accablée et ne voir aucune autre option, » (p. 95).
- Cela tend à écarter des problèmes réels, tels que l’accès insuffisant aux soins palliatifs et le fait d’être forcé dans une institution, qui créent des situations sans espoir, plutôt que des sentiments de désespoir;
- Le rapport associe la « préoccupation » du préambule du projet de loi C-14 « pour ceux qui pourraient mettre fin à leurs jours “dans un moment de détresse” » (p. 96) uniquement à l’impulsivité et à l’ambivalence, et non à la perte de résilience face aux discriminations et aux obstacles constants.
- Le groupe de travail demande si le modèle médical du handicap pourrait contribuer à la définition de la « souffrance, » en particulier pour les autistes ou les personnes ayant une déficience intellectuelle (p. 147).
- En passant, les auteurs expliquent en quoi les sentiments du médecin peuvent influer sur leur décision que le trouble mental de la personne soit traitable, que sa souffrance soit susceptible d’être soulagée ou d’autres critères d’éligibilité. Une étude de 1996 a trouvé que « 19 % (13 cas) des interventions [de SA & E] en contexte psychiatrique ont été pratiquées “malgré le jugement du conseiller selon lequel le transfert (émotions du patient redirigées d’une figure antérieure vers le médecin) et le contretransfert (la réaction émotive du médecin envers le patient) avaient influencé la décision” » (p. 154).
- À la page 175, les auteurs parlent d’un effet thérapeutique selon lequel «certaines personnes … dont la demande [de SA & E] en contexte psychiatrique avait été approuvée se sont par la suite désistées : elles ont mentionné ultérieurement que le fait de disposer de cette option “leur apportait une tranquillité d’esprit suffisante pour continuer à vivre” ». Mais ils n’offrent aucun moyen alternatif d’obtenir le même effet, tel que permettre à la personne de reprendre le contrôle de sa vie.
- Le groupe de travail propose certaines garanties qui pourraient être appliquées si le SA & E était autorisé pour les personnes ayant une déficience mentale.
- Certaines de ces politiques devraient de toute façon être en place, telles que:
- Une évaluation psychiatrique pour la capacité;
- Une évaluation multidisciplinaire, afin de prendre en compte des facteurs psychologiques, sociaux ou autres facteurs non médicaux qui affectent le volontariat et la souffrance; et
- Des rapports obligatoires et examens des cas.
- D’autres garanties possibles:
- Une approche en deux voies : un praticien de la santé mentale évalue l’éligibilité pour le SA & E pendant que l’autre suit un traitement;
- Une période d’attente prolongée, pouvant aller jusqu’à un an;
- Exiger :
- L’accord d’un médecin ou d’un professionnel de la santé mentale que le traitement soit inutile; et
- Que la personne essaie des options de traitement raisonnables (à moins qu’elle puisse démontrer qu’il y a une bonne raison de ne pas le faire)
- Le rapport sur les « troubles mentaux » présente quelques points positifs. Il soulève des problèmes de discrimination et d’obstacles plus que les autres documents. Il y a beaucoup de matériel ici (30 pages de plus), mais il restait d’importantes questions qui dépassaient le cadre de ce que le groupe de travail était censé couvrir. Nous n’avons pu que gratter la surface dans notre analyse et nous avons dû en laisser beaucoup de côté. Il est évident que des débats intenses ont eu lieu et il est grave que les défenseurs des droits des personnes en situation de handicap ne fassent pas partie de ces discussions.
- Certaines de ces politiques devraient de toute façon être en place, telles que: