Dévalorisation de l’incapacité et promotion de l’euthanasie dans le Saskatchewan Leader-Post

Lisez nos réflexions sur le récit d’un journal de la Saskatchewan concernant l’euthanasie d’un homme.

Dévalorisation de l’incapacité et promotion de l’euthanasie dans le Saskatchewan Leader-Post – 29 juillet 2019
Toujours Vivant-Not Dead Yet

En avril, un article sur l’euthanasie d’un homme à Broadview, en Saskatchewan, a été publiée dans le Saskatchewan Leader-Post. Sous couvert de sensibiliser à la disponibilité de l’assistance médicale à mourir (l’AMM), l’article décrit l’euthanasie de Michael Hoskins, âgé de 55 ans, comme une alternative digne, héroïque et pacifique à la vie avec une incapacité. Non seulement cela renforce les stéréotypes négatifs sur le handicap, mais cela enfreint également les directives de l’Organisation mondiale de la santé concernant le journalisme sur le suicide. La quantité de discrimination ouverte et indiscutée dans ce texte a fait se démarquer des articles courants de la « promotion de l’AMM » que nous rencontrons régulièrement. Nous avons donc pensé qu’il était justifié de faire quelques commentaires.

La journaliste cite une seule source pour l’article: la soeur de M. Hoskins, Lisa, dont les points de vue sont répétés exactement. Cette violation des règles les plus élémentaires du journalisme est le genre d’erreur que l’on pourrait voir chez un journaliste inexpérimenté. L’auteur semble ignorer que son défaut de contester le récit fourni par sa source et son point de vue en tant que personne non informée et non handicapée compromettent sa capacité à identifier les points de conflit, à enquêter sur l’histoire et à présenter une vision équilibrée et objective de son sujet.

La journaliste décrit les symptômes de l’incapacité de M. Hoskins en utilisant des détails qu’un observateur non handicapé peut considérer comme négatifs ou bizarre, en mentionnant « une mauvaise coordination, des difficultés avec des tâches motrices fines comme manger ou écrire, des anomalies de parole, des mouvements involontaires des yeux, et de la difficulté à avaler. » Les directives journalistiques découragent ce niveau de spécificité pour éviter les stéréotypes, de la même manière que les journalistes sont déconseillés de décrire les tenues portées par les femmes politiques ou de citer une grammaire non standard utilisée par les personnes de couleur.

Se concentrer sur les caractéristiques de M. Hoskins induit le lecteur en erreur et le distrait de la source authentique de ses difficultés. Par exemple, l’auteur déclare: « La maladie a également eu une incidence sur son comportement. des interjections inappropriées dans les conversations et l’absence de filtre signifiaient des commentaires inappropriés et de nombreux problèmes sociaux. » En fait, ces « problèmes sociaux » sont plus probablement enracinés dans l’ignorance, la discrimination et le harcèlement par des personnes non handicapées, ainsi qu’un manque de soins de santé (causé par l’erreur de diagnostic) et des appuis insuffisants pour permettre à Michael Hoskins de s’intégrer à sa communauté.

La perspective limitée de la journaliste l’empêche de regarder objectivement les événements qui ont conduit à l’euthanasie de M. Hoskins. Elle n’a pas cherché à savoir pourquoi un placement en maison de retraite était jugée nécessaire après « qu’il soit tombé et se soit assommé ». Elle a raté l’occasion d’explorer les questions plus profondes soulevées par la décision de M. Hoskins de demander et de recevoir l’AMM. Elle n’a pas demandé pourquoi M. Hoskins avait dit qu’il « préférait mourir de faim » plutôt que d’utiliser une sonde d’alimentation; elle a simplement accepté l’hypothèse sous-jacente qu’il vaut mieux être mort que handicapé. Si la journaliste avait abordé l’histoire avec un esprit plus ouvert, elle aurait peut-être demandé pourquoi le médecin de M. Hoskins pensait que l’euthanasie était la seule solution aux problèmes auxquels il faisait face.

La journaliste cite le résumé de Lisa sur le problème: « Toute une vie sans choix, parce que sa maladie l’avait dicté ou que sa situation dictait que quelqu’un d’autre devait faire ces choix pour lui. » Interroger d’autres personnes avec déficiences aurait pu exposé la journaliste au modèle social du handicap; l’idée que de nombreux problèmes liés à l’incapacité découlent de la discrimination et des obstacles dans l’environnement.

L’article cite le récit de Lisa sur la crainte de M. Hoskins de perdre sa capacité: « Michael ne voulait pas passer le reste de sa vie sans manger sa nourriture ni avoir besoin d’une infirmière à côté de lui juste pour boire un verre d’eau. Il ne voulait pas en arriver au point où il ne pourrait pas aller aux toilettes tout seul. » L’auteur omet d’indiquer que le chagrin causé par la perte de capacité et les points de vue négatifs sur le handicap peuvent être traités par le biais du soutien par les pairs, de la psychothérapie et de la réadaptation; aucune de ces ressources ne semble avoir été fournie à M. Hoskins. La « perte de dignité » citée par de nombreuses personnes qui demandent l’euthanasie est souvent liée à la pudeur à propos des soins urinaires et intestinaux. Pourtant, les personnes handicapées gèrent quotidiennement ces activités, ainsi que d’autres fonctions corporelles, en sachant qu’être assisté dans des soins personnels ne fait pas de soi une personne moindre.

Il est clair que M. Hoskins et sa famille pensaient qu’il valait mieux mourir que de vivre avec une déficience plus grave. Les réactions de la famille jouent un rôle crucial (positif ou négatif) dans l’adaptation à l’évolution du handicap. Si l’auteur avait abordé l’histoire de manière plus objective, elle aurait peut-être vu le conflit entre le « soutien » déclaré de la famille à M. Hoskins et la manière dont sa perception négative de son incapacité l’avait poussé à une mort inutile.

Le processus de détermination de l’admissibilité est une autre question qui mérite d’être examinée. La téléconférence avec l’équipe de traitement chargée d’examiner la demande de M. Hoskins était qualifiée « d’intensive, » même si « une conversation d’une heure et demie avec leur médecin suffisait à leur montrer la détermination de Michael. » Un journaliste alerte aurait su que l’admissibilité à l’AMM nécessite plus que « la détermination »; l’article ne posait pas la question de savoir si sa mort naturelle était raisonnablement prévisible, si on lui offrait des services de prévention du suicide, s’il était soumis à une « pression externe » ou s’il recevait des soins palliatifs efficaces.

Hoskins en avait clairement marre de la discrimination constante et des autres obstacles qu’il rencontrait. Pourtant, la journaliste n’a pas demandé pourquoi il ne disposait pas d’outils pour supprimer ou contourner ces obstacles. Pourquoi n’a-t-il pas été relié à d’autres personnes en situation de handicap qui auraient pu l’aider à s’adapter aux changements de son corps?

La description de Lisa du matin de la mort de son frère mérite un examen plus approfondi: «Il souffrait beaucoup à ce moment-là et l’étouffement lui faisait très peur. Du matin au moment où nous avons attendu que le médecin arrive, il a étouffé une demi-douzaine de fois. » Où était le soulagement de la douleur? Où étaient les interventions pour prévenir l’étouffement et le mettre à l’aise?

Les éditeurs de la Saskatchewan Leader-Post qui ont approuvé cet article devraient réfléchir à ses effets potentiels. En 2008, l’Organisation mondiale de la santé a publié des lignes directrices pour les professionnels des médias qui couvrent le suicide. Certains de leurs conseils pour une couverture responsable comprennent:

  • « Éviter tout registre de langage susceptible de sensationnaliser ou de normaliser le suicide, ou de le présenter comme une solution. »
  • « Éviter la mise en évidence et la répétition excessive des articles traitant du suicide. »
  • « Éviter les descriptions détaillées de la méthode mise en œuvre lors d’un suicide ou d’une tentative de suicide. »
  • « Éviter de fournir des détails quant au lieu du suicide ou de la tentative de suicide. »

.         « Rédiger les gros titres avec attention » (Les trois premiers mots du titre en question, « Mourir avec dignité, » omettent la vérité selon laquelle il est possible de vivre avec la dignité et une déficience en même temps!)

Cette article viole toutes les normes ci-dessus. Il idéalise le processus de suicide assisté tout en brossant un tableau sombre de la vie avec une incapacité. Les lecteurs avec déficiences qui se sentent piégés dans diverses situations difficiles peuvent être incités à suivre le chemin de M. Hoskins et à mettre fin à leurs jours, en particulier lorsqu’ils ne peuvent pas accéder aux soutiens nécessaires.

La vie et la mort de Michael Hoskins ne devraient pas être utilisées pour promouvoir une procédure discriminatoire à l’égard des Canadiens en situation de handicap.

TVNDY